Auteur : Irène Kris, avocate à la Cour

Date : octobre 2020

Située dans la commune de Vallon Pont d’Arc, la grotte Chauvet est notoirement connue pour ses peintures et gravures pariétales.

Restent en revanche méconnues, les nombreuses procédures judiciaires qui découlent de sa découverte en décembre 1994 par Madame Brunel, Monsieur Jean-Marie Chauvet et Christian Hilaire.

Les magistrats ont dû déterminer les réels propriétaires des terrains, le montant de l’indemnisation du en cas d’expropriation et les droits des personnes à l’origine de la découverte.

C’est ce dernier point qui nous intéresse et en particulier les arrêts de la Cour d’appel de Paris du 6 février 2015 et de la Cour de cassation du 30 novembre 2016.

Les personnes à l’origine de la découverte (ci-après inventeurs) prétendaient qu’elles bénéficiaient du régime des œuvres posthumes organisé par l’article L123-4 du code de la Propriété Intellectuelle.

Elles estimaient être les premiers « publicateurs » des œuvres de la grotte et à ce titre considéraient qu’elles  bénéficiaient du monopole réservé aux propriétaires de l’œuvre posthume.

Deux questions se posaient :

  • Les inventeurs pouvaient-ils bénéficier du régime juridique de l’article L123- du code de la Propriété Intellectuelle alors qu’ils n’étaient pas propriétaires de l’œuvre ?
  • Les inventeurs pouvaient-ils être considérés comme les premiers publicateurs de l’œuvre ?

L’article L123-4 du code de la Propriété Intellectuelle prévoit en son alinéa 3 que le monopole d’une œuvre divulguée après la fin du monopole d’exploitation de son auteur, est attribué à la personne qui effectue la publication pour une durée de 25 ans à compter du 1er janvier de l’année civile suivant celle de la publication.

Cet article indique clairement que ce monopole est conféré « aux propriétaires, par succession ou par d’autres titres, de l’œuvre, qui effectuent ou font effectuer la publication ».

A la lecture de cet article, il apparait clairement que le monopole s’applique aux seuls propriétaires du support matériel de l’œuvre, ce que confirme la Cour de cassation, à propos de poèmes et de lettres de Jules Vernes publiés après la fin du monopole d’exploitation de son auteur (Cass, civ, 9 novembre 1993).

Pourtant, les inventeurs estimaient au contraire que cette condition de « propriété » ne devait pas être prise en compte.

Leurs argumentaires portaient sur une mauvaise transposition de la Directive 93/98 par la Loi du 27 mars 1997.

Ils estimaient que le juge avait l’obligation d’écarter l’article L123-4 alinéa 3 non conforme et d’appliquer les dispositions de la directive dotée d’une valeur supra-législative qui elles s’appliquaient : « à toute personne qui, après l’extinction de la protection du droit d’auteur, publie licitement ou communique licitement au public pour la première fois une œuvre non publiée auparavant ».

La Cour d’appel de Paris ne fait pas droit à leur demande estimant que « le législateur français avait la faculté de poser, comme il l’a fait, une condition supplémentaire à l’octroi de la protection particulière qu’il accordait à ce bénéficiaire du droit d’exploitation ».

N’obtenant pas gain de cause, les inventeurs ont ainsi formé un pourvoi en cassation.

Dans son arrêt du 30 novembre 2016, la Cour de cassation balaie cet argument et répond précisément à la seconde question : les inventeurs sont-ils les premiers « publicateurs » de l’œuvre.

Se pose alors la question de cette notion de publication.

Le terme « publication » équivaut à une divulgation c’est-à-dire porté à la connaissance du public l’œuvre en l’exposant par exemple.

La Cour de cassation précise en effet que :

« la grotte, d’une surface de plusieurs centaines de mètres carrés, était un lieu fréquenté lors de l’accomplissement de rites et portait les traces d’activités humaines qui s’y étaient exercées pendant des milliers d’années, comme en attestent les datations au carbone 14, et que les fresques en cause, réalisées à des époques distinctes, sur une période de près de 5 000 ans, étaient accessibles », de sorte que « les œuvres avaient été divulguées avant l’obstruction de l’accès à la grotte ».

Celle-ci estime donc que  les œuvres avaient forcément été exposées et donc divulguées lors de rites et ce à des époques différentes.

C’est ainsi que la Cour de cassation rejette le pourvoi des inventeurs, confirmant la décision de la Cour d’appel de Paris.

  • Arrêt de la Cour d’appel de Paris du 6 février 2015, 2ème chambre pole 5
  • Arrêt de la Cour de cassation, 1ère chambre civile, du 30 novembre 2016