Auteur: Irène Kris, avocate à la Cour

Date : 5 janvier 2020

Arrêt de la Cour de cassation du 1er juillet 2020 / Ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945

Simon Bauer, collectionneur de toiles impressionnistes, était devenu propriétaire de « la cueillette des pois » de Pissaro.

Le 1er octobre 1943, cette toile a été saisie par Jean-François Lefranc, devenu administrateur et séquestre de la collection Bauer par le commissaire aux questions juives. C’est dans ce contexte qu’il a revendu la dite toile.

Le Président du Tribunal de la Seine constata la nullité des ventes frauduleuses effectuée par Jean-François Lefranc et ordonna la restitution de ladite toile. En raison de vente successive, la toile disparait et n’a jamais pu être restituée.

C’est finalement lors d’une exposition au Musée Marmottan en 2017 que cette toile réapparait. On apprend alors que celle-ci a été acquise lors d’une vente aux enchères chez Christies en 1995. Cette toile figurait pourtant au registre des biens spoliés pendant la seconde guerre mondiale…

Le Tribunal de Grande Instance de Paris reconnait, le 7 novembre 2017, les droits des descendants de Simon Bauer sur cette toile et ordonne sa restitution. La Cour d’appel confirme ce jugement en date du 2 octobre 2018.

Les propriétaires de l’œuvre acquise lors de la vente aux enchères se pourvoient en cassation et déposent une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC)  qui portait sur deux points :

« La combinaison des articles 2 et 4 de l’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 porte-t-elle atteinte au respect du droit de propriété au sens des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme à raison du caractère irréfragable de la présomption de mauvaise foi qu’elle instituerait sans condition de délai à des fins confiscatoires au préjudice du tiers acquéreur qui serait lui-même de bonne foi ?

L’article 4 de l’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 porte-t-il atteinte aux droits de la défense et à une procédure juste et équitable en ce qu’il interdit aux sous-acquéreurs objet d’une revendication de rapporter utilement la preuve de sa bonne foi en violation de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? »

La Cour de cassation dans son arrêt du 11 septembre 2019 dit n’y avoir pas lieu de renvoyer devant le Conseil Constitutionnel.

Elle estime que « les questions posées ne présentent pas un caractère sérieux en ce que les dispositions contestées assurent la protection du droit de propriété des personnes victimes de spoliation ; que, dans le cas où une spoliation est intervenue et où la nullité de la confiscation a été irrévocablement constatée et la restitution d’un bien confisqué ordonnée, les acquéreurs ultérieurs de ce bien, même de bonne foi, ne peuvent prétendre en être devenus légalement propriétaires ; qu’ils disposent de recours contre leur auteur, de sorte que les dispositions contestées, instaurées pour protéger le droit de propriété des propriétaires légitimes, ne portent pas atteinte au droit des sous-acquéreurs à une procédure juste et équitable ».

La Cour de cassation dans son arrêt du 1er juillet 2020 (Jurisdata n°2020-009676) confirme que les sous acquéreurs successifs ne sont dès lors pas propriétaires du bien et qu’ils doivent restituer l’œuvre.

Elle rappelle également que s’ils ne peuvent rapporter leur bonne foi, les acquéreurs successifs disposent toutefois de recours en sollicitant la  nullité de la transaction et obtenir la restitution du prix si les biens sont spoliés ou contester la spoliation et obtenir réparation pour saisie irrégulière du bien.

Elle précise également que l’indemnisation perçue par l’indivision Bauer par la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) à hauteur de 109 304 euros n’implique aucun transfert de propriété du bien ni à l’Etat débiteur de l’indemnité, ni aux possesseurs successifs du bien, le décret n° 99-778 du 10 septembre 1999 n’ayant prévu « aucun mécanisme de subrogation ou de transfert de propriété en cas d’indemnisation ».

Mots clefs : oeuvre spoliée, ordonnance du 21 avril 1945, Pissaro, héritiers